Sommaire de l'article
L'ordonnance du 5 avril 2024 du tribunal administratif de Versailles rendue en faveur de l'un de nos clients dans le cadre d'un office du juge d'un genre très rare (le référé contractuel) fournit des enseignements précieux
C'est l'histoire d'une procédure ordinaire de marché public de voirie routière passée en procédure adaptée par une commune d'Île-de-France qui apporta à cette dernière des enseignements lui permettant d'améliorer ses procédures et d'aider les autres collectivités à faire de même.
En effet, en premier lieu, cette ordonnance est intéressante et utile pour la commune victorieuse devant le juge des référés contractuels début avril dernier (TA Versailles, 5 avril 2024, n° 2402398).
Cette ordonnance permettra notamment à la Ville d'anticiper en améliorant les procédures d'attribution de ses prochains marchés publics en procédure adaptée, en tirant de cette décision du juge les enseignements essentiels en matière de recevabilité du référé contractuel.
En second lieu, cette ordonnance servira nécessairement à d'autres collectivités.
Ainsi, l'ordonnance offre des enseignements précieux qu'il serait dommage de ne pas mettre à profit (1), notamment après avoir mis en balance les intérêts en présence (2).
1. Les enseignements à mettre à profit de l'ordonnance de référé du 5 avril 2024 en matière d'irrecevabilité d'une requête en référé contractuel
Qu'enseigne l'ordonnance du 5 avril 2024 en matière de recevabilité du référé contractuel ?
L'article R. 551-7-1 du code de justice administrative utilisé par le juge des référés de la juridiction versaillaise pour déclarer recevable la requête en référé contractuel n'est pas très connu.
Il dispose :
"Pour pouvoir se prévaloir des dispositions du premier alinéa de l'article L. 551-15, le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice publie au Journal officiel de l'Union européenne un avis, conforme au modèle fixé par le règlement de la Commission européenne établissant les formulaires standard pour la publication d'avis en matière de marchés publics et de contrats de concession, relatif à son intention de conclure un contrat. Il respecte un délai d'au moins onze jours entre la date de publication de cet avis et la date de conclusion du contrat.
Pour pouvoir se prévaloir, s'agissant d'un marché fondé sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique, des dispositions du second alinéa du même article, le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice notifie aux titulaires de l'accord-cadre ou aux participants au système d'acquisition dynamique le nom du titulaire et les motifs qui ont conduit au choix de son offre et respecte un délai d'au moins seize jours entre la date d'envoi de cette notification et la date de conclusion du marché. Ce délai est réduit à au moins onze jours en cas de transmission électronique de la notification à l'ensemble des titulaires intéressés."
Cet article date de 2016 et n'a été mis en application à notre connaissance que 2 fois pour des procédures adaptées avant l'ordonnance d'avril dernier (par le TA de Montpellier le 12 juillet 2019, n° 1903137 ; ainsi que le Conseil d'État le 8 novembre 2019, n° 432216).
Toutefois, il y a lieu de préciser que cette application confirme une jurisprudence déjà appliquée à l'époque des anciennes dispositions du code des marchés publics, puisque le Conseil d'État avait appliqué ce principe notamment dans une décision de 2017 (CE, 23 janvier 2017, n° 401400, aux Tables).
La décision du tribunal administratif de Versailles du 5 avril 2024 ne fait donc que confirmer et rappeler une lecture adoptée par le Conseil d'État depuis déjà plus de 7 ans, dans le cadre d'une jurisprudence qui est rare mais qui nous semble bien établie.
L’ordonnance n’a pas été contestée dans le délai de 15 jours pour saisir le Conseil d'État d'un pourvoi en cassation, et elle est donc devenue définitive.
Elle confirme ainsi la jurisprudence rappelée ci-dessus.
Ainsi, en ce qui concerne notre cliente, pour les prochaines procédures, et notamment vis-à-vis d'une procédure en cours, nous lui avons recommandé, même lorsque qu'elle opte pour une procédure adaptée, de rendre publique son intention de conclure le marché par un avis publié au JOUE (Journal Officiel de l'Union Européenne) avant de signer le contrat, bien que cette publication soit facultative.
Nous lui recommandons également de laisser s'écouler un délai de 11 jours avant de signer le marché, à compter de la publication de cet avis au JOUE, et non un délai raisonnable de 7 jours, comme la commune le prévoyait jusqu'à la date de l'ordonnance de référé victorieuse.
En l'occurrence, la requête en référé contractuel a été déclarée recevable car la commune n'avait pas publié son intention de conclure le contrat comme le prescrit le code de justice administrative.
Cependant, le juge des référés a rejeté la requête car tous les moyens ont été écartés comme inopérants, conformément à nos écritures solides en défense.
2. Quelle appréciation porter sur l'application stricte de ce texte en procédure adaptée ? La mise en balance des intérêts milite pour une prise en compte de cette position du juge dans les procédures internes
En prenant un peu de recul, on peut certes considérer que cette jurisprudence est un peu sévère dans la mesure où la publication de l'intention de conclure le marché avant de signer le contrat n'est pas une obligation en procédure adaptée.
Néanmoins, il est clair qu'elle contribue à développer la transparence des procédures de mise en concurrence et l'accès au prétoire dans le respect des droits fondamentaux européens qui s'appliquent aussi aux candidats évincés des contrats de la commande publique.
Le cabinet est à disposition de toute collectivité ou autre acheteur public ou parapublic qui entendrait suivre également nos recommandations et notamment modifier son règlement interne de la commande publique, ainsi que ses courriers de rejet de l'offre en conséquence, afin de l'accompagner au mieux dans ces mesures d'anticipation.
En effet, il est crucial de sécuriser au maximum la rédaction de ces textes internes et courriers afin de limiter autant que possible les risques contentieux et économiser du temps ainsi que de l'argent.
Ces modifications des pratiques des acheteurs leur permettraient en effet d'éviter de rendre systématiquement recevable des référés contractuels lorsqu'un référé précontractuel a déjà été introduit et a été rejeté comme irrecevable, notamment parce qu'il a été introduit après la signature du contrat.
Et ce en particulier lorsque, comme en l'espèce, la requête en référé précontractuel avait été introduite plus de 11 jours après le courrier de rejet de l'offre.
Le frein du temps passé à publier l'intention de conclure le marché peut être surmonté si l'on le compare au temps passé à défendre sur un recours en référé contractuel dont on serait sûr qu'il serait irrecevable grâce au respect des procédures et délais fixés par les textes tels qu'interprétés par la jurisprudence, bien que les référés contractuels soient rares.
En outre, bien souvent, l'acheteur publie déjà le marché lorsqu'il a été conclu, ce qui était le cas en l'espèce.
Dès lors, publier en plus l'intention de conclure le marché ne devrait pas prendre un temps si important si on le compare avec le temps passé à défendre en référé dans une instance qui pourrait être expédiée sans audience grâce à une irrecevabilité manifeste sur production de l'avis de publication de l'intention de conclure le marché au JOUE.
La morale de cette histoire c'est que même lorsqu'on gagne, on peut apprendre, pour paraphraser Nelson Mandela.
Si vous souhaitez obtenir communication de cette ordonnance du 5 avril 2024 (anonymisée bien entendu), vous pouvez remplir le formulaire de contact ou nous adresser un courriel à l'adresse suivante : [email protected]
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